Alors que se tient le Salon des Solidarités du 19 au 21 mai à Paris, Mediatico pose une question qui agite associations et ONG : quelle nécessité de répondre à des appels d’offres et de présenter des projets pour être financé ? Cette logique peut en effet conduire à perdre de vue le bénéficiaire, qui devrait pourtant être au coeur de l’action.
C’est un petit jeu chronophage, auquel le monde associatif est rodé : proposer des “projets”, qui répondent aux “besoins des bénéficiaires”, à des bailleurs de fonds peu désireux de financer les frais de structure associatifs : salaires, loyers, frais administratifs…
Alors que les financements se tarissent, les associations et les ONG fonctionnent de plus en plus à la manière des agences de conseil : elles répondent au “brief” du client bailleur de fonds afin de “remporter la compétition” et pouvoir assumer leurs coûts de fonctionnement. A elles ensuite de trouver les prestataires pour assurer leur mission, surtout quand elles ne connaissent pas grand chose à ce qu’elles ont vendu (le tableau des critiques est déjà bien garni).
Résultat : le projet initial de l’association se trouve parfois réorienté par l’agenda politique du bailleur. Et ce système privilégie les associations les plus habiles dans le montage de dossiers, notamment celles qui connaissent les bons mots-clés de leur secteur, comme actuellement “essaimer” ou “co-construction” dans le domaine social.
Respecter le désir du donateur, un frein à l’innovation ?
“Se mouler dans le cadre de préférences du bailleur” n’est pas sans conséquences, analyse Rony Brauman, une figure de l’humanitaire : “Depuis quelques années, on a vu monter le thème de la résilience chez les ONG, en adéquation avec le discours des bailleurs – sans doute par opportunité – notamment dans le domaine des catastrophes naturelles. Sous entendu, c’est à l’individu qu’incombe l’obligation de se préparer à ces catastrophes et non à l’Etat. Voilà comment une notion idéologique néo-libérale se glisse dans des programmes, reniant ce que les organisations d’entraide promeuvent.”
“Nous, les bailleurs privés, nous recevons des dons, explique Martine Gruère, experte solidarités nationales et éducation à la Fondation de France. Les donateurs ont des souhaits, c’est notre obligation de les respecter. Or, il est plus facile de financer un projet qu’une structure, pour respecter le désir du donateur.” Problème : les donateurs se réveillent souvent lorsqu’une crise est médiatisée. Comme s’il fallait attendre qu’un tremblement de terre dévaste un pays pour s’intéresser à ses habitants qui ont faim, ou qu’un enfant meure sur une plage pour qu’on daigne secourir les réfugiés.
Le financement par projets “peut finir par constituer un frein à l’innovation et à la recherche, analyse par ailleurs Vincent Mudry, directeur des opérations au sein de la société de conseil en philanthropie Philanthropy Advisors. Cela favorise le développement de projets sur des modèles pré-établis, ce qui implique un biais dans la manière d’intervenir des ONG.” Avec le risque, selon lui, de se concentrer sur les bénéficiaires les plus faciles à atteindre.
Prévoir un financement systématique pour les frais de fonctionnement
Ce financement par projets reste néanmoins le plus pertinent, admettent toutefois toutes les personnes interrogées. “Il me semble légitime que les bailleurs financent les ONG par projets, sinon elles seraient des appendices étatiques comme de nombreuses structures sociales en France”, juge Rony Brauman. Mais des améliorations sont nécessaires, comme la systématisation d’un financement “overhead”, poursuit Eric Berseth, cofondateur de Philanthropy Advisors, qui plaide pour “que 10% du financement d’un projet soit alloué au financement des frais généraux.”
Autre idée pour alléger le temps administratif passé sur le reporting des projets : les bailleurs de fonds pourraient se coordonner entre eux, comme ils demandent aux associations de le faire à leur égard, en harmonisant les demandes de compte-rendu.
La Fondation de France, quant à elle, commence à réfléchir au financement de petites structures associatives. Un programme expérimental, lancé sur six territoires, permet à des habitants de proposer une idée et, si elle est retenue, de les soutenir pour créer leur association. “Dans tous les cas, conseille Martine Gruère, nous incitons les associations à aller vers l’hybridation et la mutualisation des ressources pour faire face à la concurrence entre elles, à développer plusieurs activités, à sortir de la gratuité… et il leur faut mieux valoriser leurs projets.”
Ou comment faire preuve de “résilience” face à un système de financement toujours plus compétitif.
Pour aller plus loin :