Le budget, nerf de la guerre… mais pas seulement. Car à défaut d’en attendre un pognon de dingue, au moins l’ESS organise-t-elle un lobbying de haute tenue auprès du Parlement, à l’occasion de l’examen du projet de budget 2024. Depuis cette semaine, l’Assemblée nationale examine en effet le projet de loi de finances 2024, pour une durée de 40 jours. Puis, le Sénat prendra le relais. Dans l’intervalle, l’économie sociale et solidaire, qui représente 2,6 millions d’emplois dans tous les secteurs de l’économie, soit 14% de l’emploi privé, redouble d’efforts pour enrichir le texte… en sa faveur. C’est parfois technique, alors accrochez-vous !
Pour commencer, Ess France, l’instance qui rassemble toutes les familles de l’ESS, demande non pas une stagnation, mais une augmentation – dans un contexte d’inflation – des moyens dédiés au développement de l’ESS : cette forme d’économie assure l’émergence et la structuration de filières d’avenir qui sont essentielles aux regard des enjeux de transition écologique et de cohésion sociale.
Or, les annonces récentes de suppression d’emplois aidés ou des moyens pour l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée, ne vont pas dans le bon sens. ESS France réclame donc plus de budget pour les CRESS régionales, pour le Dispositif Local d’Accompagnement (DLA), pour le Guid’Asso, pour l’ingénierie territoriale de coopération entre entreprises de l’ESS… ESS France demande aussi la création d’un fonds de conversion pour aider les entreprises privées lucratives à transformer leur modèle vers l’économie sociale et solidaire.
Coopératives, entreprises engagées, finance solidaire…
Dans l’univers coopératif, la Confédération générale des Scop propose pour sa part que les entreprises classiques qui souhaitent se transformer en coopérative puissent recourir à un mécanisme d’épargne de trésorerie ; que les Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) deviennent éligibles au régime du mécénat sous certaines conditions ; ou encore que le régime fiscal des plus-values pour un associé d’une Scic soit aligné sur celui d’un associé d’une Scop.
Le mouvement Impact France, lui, voudrait moduler le taux d’impôt sur les sociétés (IS) selon le “comportement” des entreprises en matière de gouvernance, car près de la moitié des 152 milliards d’euros de bénéfices réalisés en 2022 par les entreprises du CAC 40 sont allés aux actionnaires. Ainsi, le taux unique de l’IS actuellement fixé à 25% pourrait être abaissé à 20% si les bénéfices sont réinvestis dans l’entreprise ou distribués aux salariés. A l’inverse, il pourrait être augmenté à 30% si les bénéfices sont distribués uniquement aux actionnaires.
Dans la finance solidaire, FAIR demande à encourager l’investissement dans les entreprises solidaires, comme la prolongation du taux à 25% de l’incitation fiscale à la prise de capital auprès des PME et des entreprises solidaires agréées ESUS. Ou l’harmonisation des droits de mutation pour toutes les entreprises agrées ESUS à prépondérance immobilière. Ou encore l’extension au Livret A du mécanisme de partage du LDDS, qui permet aujourd’hui de partager les intérêts annuels de son livret au profit d’une structure solidaire.
Le Centre Français des Fondations (CFF) espère pour sa part aligner la fiscalité entre les fondations et les fonds de dotation, notamment en matière de taxe sur les salaires, afin d’assurer une égalité de traitement entre les structures qui financent l’intérêt général.
L’UDES réclame de son côté la suppression de la taxe sur les salaires pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire, l’augmentation du nombre d’emplois aidés, ou encore la création d’une prime d’innovation sociale dans l’ESS sur le même modèle que le Crédit impôt recherche dans les startups.
Financer les associations… et la santé
Pour le secteur associatif, le Mouvement Associatif n’a pas réagi officiellement pour l’instant aux propos de la secrétaire d’Etat à la Jeunesse Prisca Thévenot, selon qui « de nombreux comptes bancaires inactifs, non réclamés depuis des décennies, se trouvent consignés auprès de la Caisse des Dépôts. Depuis 2020, 20% sont orientés vers le financement des associations, nous allons passer à 40% » dans le cadre de la loi de finances 2024. Voilà qui ne représente toutefois que 20 millions d’euros supplémentaires, alors que les pommes de discorde entre le gouvernement et le milieu associatif sont de toute autre ampleur, compte tenu de la suppression des emplois aidés et de la défiance instaurée par le Contrat d’engagement républicain.
Quant aux mutuelles, elles se positionnent par la voix de la FNMF, la Fédération nationale de la mutualité française, dans le cadre d’une autre texte : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). La FNMF regrette en effet une projection sous-évaluée – car inférieure à l’inflation – des dépenses d’assurance maladie. Elle s’inquiète aussi des nouvelles conditions de suspension des indemnités maladie journalières, ainsi que « le sous-financement de la cinquième branche » de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie. Mais surtout, la FNMF demande que le PLFSS 2024 soit l’occasion de lancer une réforme structurelle de la protection sociale, mettant en place des mesures de prévention, d’organisation de soins et d’accès à la complémentaire santé.
Chaque année, l’examen du projet de loi de finances est l’occasion de pressions de tous ordres, de multiples bras de fer entre industriels et politiques, entre intérêts publics et intérêts privés. Toujours prompte à dénoncer les lobbies, l’ESS n’est pas en reste. Mais toujours au service de l’intérêt général et du bien commun.