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Singa, Change.org, Genepi : le virage définitif des femmes militantes

C’est la vision des fondateurs qui fixe la ligne directrice d’un projet, dans le monde associatif comme dans les entreprises sociales. Mais qu’advient-il lorsqu’ils décident d’emprunter d’autres voies ? En cette rentrée 2021, que ce soit chez Singa, chez Change.org, ou de manière bien différente au Genepi, des virages majeurs sont annoncés, définitifs. Effet collatéral du Covid, peut-être, qui a poussé les organisations à se réinventer. Ou force naturelle de la vie qui pousse chacun à suivre son chemin personnel en parallèle de son engagement collectif, quand bien même (ou parce que) l’environnement général et les défis du quotidien ne changent pas.

Chez Singa, Alice Barbe a ainsi annoncé son « clap de fin » la semaine dernière. « Cet été, écrit-elle, j’ai passé mes derniers jours comme CEO. Il est temps de tourner la page Singa après 9 années extraordinaires et me voilà partie pour d’autres aventures ». Dont elle ne dit encore rien. Cofondatrice avec Guillaume Capelle et Nathanaël Molle en 2012 de cette organisation qui milite pour l’accueil des migrants et la richesse de nos relations interculturelles, nous l’avions longuement interviewée lors d’un événement Mediatico, juste avant la crise du Covid (retrouvez cette interview ici).

Alice Barbe va-t-elle rejoindre une fondation ? Une entreprise ? Ou Anne Hidalgo dans sa campagne présidentielle ? Voilà cinq ans, Diana Filippova, co-fondatrice de Ouishare, avait rejoint Microsoft, puis Nexity et Michelin… avant de venir conseiller la Maire de Paris. L’engagement associatif et la politique ne sont jamais très éloignés. Alice Barbe quitte d’ailleurs la direction générale de Singa, où lui succède… Benoît Hamon. Le fondateur du parti Génération.s déclare en effet renoncer à la vie politique. Tout comme l’écologiste Cécile Duflot l’avait fait en rejoignant Oxfam, en 2018. Même si en politique, on ne meurt jamais.

Autre départ définitif, celui de Sarah Durieux, chez Change.org. Cofondatrice de la version française du site américain de pétitions en ligne, Sarah Durieux synthétise son extraordinaire aventure d’entrepreneure à impact : « Quand nous avons lancé  Change.org en France en 2012, nous étions trois, quelques milliers des membres et une petite pièce sombre dans un coworking bruyant (…) Depuis, l’équipe est devenue source d’espoir pour 13 millions de personnes ».

Car Change.org en France, c’est neuf ans de pétitions innombrables, qu’elle énumère pêle-mêle : la libération de Jacqueline Sauvage, le don de sang des homosexuels, le retrait de la honteuse ligne de bijoux « esclave » de la marque Mango, la légalisation du suicide assisté, l’opposition à la Loi Travail, le refus de voir l’expulsion d’un apprenti boulanger… Avec sa technologie de plateforme, Change.org porte la parole des citoyens, donc la démocratie. Où s’orientera Sarah Durieux demain ? Sa décision n’est pas encore arrêtée. « Ce dont je suis sûre, c’est que j’agirais avec les millions de personnes qui veulent changer le monde, pour la justice sociale et climatique, pour une véritable démocratie et contre toutes les haines ». Militante, pour toujours !

Mais d’autres femmes tout aussi militantes et définitives n’ont pas brillé cet été, au contraire. Spécialisé dans l’accompagnement des détenus, le Genepi permet depuis 1976 à des étudiants d’enseigner en prison pour préparer la réinsertion des détenus dans la vie civile. Orthographe, sciences, philosophie, découverte de métiers, aide administrative… Mais le Génépi, c’est surtout « une petite fenêtre d’air frais et de fraternité » en prison, assure Margault Phélip, ancienne d’Emmaüs Connect et de We Tech Care, aujourd’hui cofondatrice de Impact Studio. En plus de 40 ans, le Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (Genepi) a ainsi fondé l’engagement de plusieurs générations de bénévoles et de dirigeants associatifs. En 2018, l’association comptait encore 800 bénévoles. 

Mais faute d’avoir su protéger sa gouvernance, le Genepi a vu entrer dans ses instances dirigeantes un groupe d’ultra-féministes, qui a changé sa ligne directrice en prônant l’abolition des prison, puis décidé de ne plus y intervenir à partir de 2019, pour au final dissoudre le Genepi cet été. Pourquoi cette mise à mort ? Parce que financée par l’État, le Genepi serait un faire-valoir des gouvernements, disent-elles, et qu’il vaut mieux « brûler les prisons » plutôt que d’y intervenir bénévolement, affirme le communiqué suicidaire. Déconcertant. Affligeant. Déchirant et insultant pour les Anciens du Genepi (lire leur communiqué). Mais leur forte mobilisation prouve que l’esprit du Genepi n’est pas mort. Avec leur projet REBOND, ils ont prévu de rouvrir en cette rentrée 2021 les portes des prisons aux étudiants. 

Le féminisme est essentiel à notre siècle. L’engagement des femmes est essentiel à notre société. Mais les mouvement ultra, quels qu’ils soient, sont destructeurs de cohésion sociale. Souvenons-nous en.

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