Cela n’aura échappé à personne (dans l’ESS !). Lors du remaniement ministériel du 20 juillet, l’économie sociale et solidaire a été dans un premier temps « oubliée ». Dans la liste des ministres et de leurs attributions, on avait beau écarquiller les yeux, pas de trace de l’ESS. Une première depuis des décennies. Olivia Grégoire a, semble-t-il, rapidement levé le doigt pour signaler le problème et corriger le tir, il faut l’en remercier. Cet inquiétant « oubli estival » révèle un symptôme et souligne un paradoxe.
Le symptôme est celui de la difficulté à faire entrer significativement et durablement l’ESS dans les politiques publiques françaises. La France a été capable de se doter en 2014 d’une loi ESS de grande qualité, la mettant à la pointe de l’Europe, mais ne parvient pas à implémenter ce cadre législatif par une politique publique nationale digne de ce nom. Une politique publique nationale, rappelons-le, définit des moyens d’action budgétaires, réglementaires, administratifs, contractuels de l’État… permettant d’atteindre des objectifs d’intérêt général. Une politique publique, (lorsqu’elle n’est pas qu’un simple affichage déclaratif), doit être évaluable dans ses résultats. Depuis la première reconnaissance de l’Économie sociale dans nos institutions (1981, Michel Rocard était alors ministre du Plan et de l’Économie sociale) le monde a bien changé et le besoin d’ESS n’a cessé de prendre de l’ampleur pour répondre aux nouveaux enjeux économiques, sociaux, écologiques. Un ministre du dernier quinquennat (N.Hulot) n’avait-il pas déclaré que « l’ESS devrait être la norme de l’économie » ? Parmi les évolutions significatives, il y eut en France la montée des territoires dans l’invention des solutions (agir local) et la décentralisation de nombreuses politiques publiques. De fait, les collectivités locales françaises n’ont jamais été aussi actives et inventives en terme de politiques locales de soutien à l’ESS. Cela doit il conduire l’État à ranger ses crayons ? Non, archi non. Cela doit le conduire à mettre en place une ambitieuse politique nationale « bottom up », qui s’inspire, accompagne, appuie les actions des territoires. L’État a un rôle majeur à jouer pour financer, capitaliser, diffuser l’ingénierie des innovations territoriales de l’ESS. L’exemple des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ou des territoires zéro chômeur (TZCLD) le démontrent à l’envi.
On en vient alors au paradoxe. L’État français « oublie » l’ESS au moment où l’Europe, elle, s’en saisit résolument, souvent en faisant référence à l’expérience et au savoir-faire français. Ursula Von Der Leyen n’a pas oublié de désigner un commissaire en charge de l’économie sociale, le Commissaire Schmit. Ce dernier a préparé un plan d’action en faveur de l’ESS adopté en 2022. Et dans le prolongement de ce Plan il y aura prochainement une Recommandation du Conseil aux États Membres pour les inciter à mettre en place des politiques publiques d’ES. La définition de l’Économie sociale retenue par l’Europe est quasiment un copié collé de la définition française de 2014 et la recommandation s’inspire souvent des pratiques françaises. Et c’est le moment où l’exécutif français « oublie » d’affecter l’Économie sociale et solidaire à un ministre ! Cherchez l’erreur…
Il n’est jamais trop tard pour faire mieux ou corriger le tir. L’exécutif s’honorerait à montrer qu’il s’agit d’un « loupé » en apportant un réel soutien politique et de réels moyens budgétaires à Olivia Grégoire finalement chargée de l’ESS (reconnue, elle connaît bien le sujet), en prenant l’engagement d’adopter dans les deux ans une loi de programmation ESS ambitieuse dans ses moyens, en facilitant davantage l’accès de l’ESS à France 2030, en faisant de l’éducation populaire une grande Cause Nationale, en reprenant un certain leadership en Europe sur l’ESS etc.
Ça urge ! Espérons que la venue annoncée d’un haut-commissaire à l’ESS soit un signe fort en ce sens.