Faire financer un programme social par le secteur privé, les fondations d’entreprise nous y avaient habitués. Mais indexer la rentabilité d’un placement financier sur une performance sociale, voilà qui est plus étonnant. Innovation, s’enthousiasment les uns. Financiarisation de l’action associative, dénoncent les autres. Essayons d’y voir clair :
Inspirée des expériences anglo-saxonnes, la mécanique des titres à impact social (social impact bonds, ou SIB) est facile à comprendre : une association décide de faire financer un nouveau programme social utile à son territoire par un investisseur privé, qui voudra récupérer son investissement et quelques intérêts en contrepartie de sa prise de risque.
L’exemple de la Sauvegarde du Nord
La Sauvegarde du Nord, par exemple, une importante association du département du Nord, a besoin de 1,4 millions d’euros pour embaucher 10 travailleurs sociaux supplémentaires et éviter le placement en famille d’accueil ou en établissement spécialisé de 100 à 200 mineurs en difficulté sur une période de trois ans. Économie estimée pour les pouvoirs publics en évitant ces placements : 4 à 8 millions d’euros.
Mais le département du Nord n’a plus un sou. Impossible d’investir dans ce projet, pourtant générateur de fortes économies. L’opération sera donc financée par une banque privée, grâce aux titres à impact social.
Le risque est porté par l’investisseur privé
Particularité du montage financier : la puissance publique ne dépense pas d’argent pour mettre en place le dispositif, mais elle remboursera l’investisseur privé car ce programme social est d’intérêt général. Les avantages sont évidents : lancer l’action sociale sans attendre, épargner les finances de l’association, faire porter le risque à l’investisseur privé, programmer le remboursement par la puissance publique, ou encore obtenir un très bon retour sur investissement de l’argent public investi.
Mais l’originalité réside surtout dans le taux d’intérêt versé à l’investisseur privé : ce taux est indexé sur la réussite du programme social. Si l’action est un succès, donc si le nombre de mineurs placés diminue fortement par exemple, alors le taux d’intérêt sera élevé. Si l’action est un échec, le taux sera minime.
La mesure d’impact, clé du dispositif
Dans le projet de la Sauvegarde du Nord, le taux d’intérêt varie ainsi de 0% à 6%. Le nœud du projet est donc de savoir évaluer l’impact de façon fiable : quels indicateurs, quelle analyse en faire ? C’est un cabinet d’évaluation extérieur et indépendant, obligatoirement partie prenante au projet, tel que KPMG, qui procédera à la mesure d’impact. Une caution essentielle pour l’investisseur privé, qui partage désormais un risque financier porté hier uniquement par la puissance publique.
Les grandes associations mieux placées
Financiarisation ? Soyons lucides et pragmatiques. Pour les structures de l’ESS, l’intérêt des titres à impact social est de pouvoir lancer de nouvelles actions à fort impact dans la lignée de leurs valeurs, en dépit du coût d’investissement élevé qui les freine si souvent. En d’autres termes, les titres à impact social sont un puissant levier de développement pour le secteur de l’économie sociale et solidaire. Et une clé du changement d’échelle.
Un appel à projets permanent
Certes, les grandes associations sont mieux armées pour convaincre les investisseurs privés, car elles sont déjà dotées d’une assise financière importante. Mais aucun critère de taille n’est fixé dans l’appel à projets permanent (ouvert jusqu’au 31 mars 2017) lancé par le gouvernement, qui cherche les premiers pionniers des « social impact bonds » à la française.
Porté en France par Martine Pinville, secrétaire d’Etat chargée de l’Economie sociale et solidaire, ce dispositif confronte deux univers qui se connaissent mal : le social et la finance. C’est ce qui dérange.
Mais à l’heure où les finances publiques sont exsangues et où l’idée de co-construire les solutions d’avenir fait consensus, les titres à impact social, à condition d’être bien encadrés, viennent reconnecter la finance à l’économie réelle et incarnent une solution concrète pour développer l’action sociale à grande échelle.
Frédéric Vuillod,
Fondateur de Mediatico.
(article publié dans UP le Mag n°12, été 2016, p.20,
dans le dossier « Petite entreprise deviendra grande »)