Surprise dans l’univers des entreprises à mission : Maif acquiert 82% du capital de Camif, ont annoncé ce matin les deux entreprises, lors d’une conférence de presse commune au Maif Social Club. Toutes deux basées à Niort, ayant adopté simultanément en 2020 la qualité d’entreprise à mission, engagées chacune à leur façon pour la transition écologique, elles ont presque tout en commun. Une histoire. Des valeurs. Et désormais des objectifs. Sauf que… pourquoi Maif, une mutuelle d’assurance, prend-elle le contrôle de Camif, un site d’équipement de la maison ? Voilà une question stratégique qui interpelle Mediatico.
Pour mieux comprendre, retour aux sources. Fondée en 1947, La Camif était à l’origine la Coopérative des Adhérents à la Mutuelle des Instituteurs de France, autrement dit des adhérents à la Maif. Les enseignants pouvaient y acheter sur catalogue des canapés, ordinateurs, lampadaires… Mais dans les années 2000, le rouleau compresseur Internet a raison de la vente à distance à la française : La Redoute et les 3 Suisses en savent quelque chose. En 2008, la Camif dépose le bilan. Maif, qui avait déjà renforcé les fonds propres de la Camif en 2003, ne remet pas au pot. Placée en redressement judiciaire, la Camif est à vendre et sera finalement reprise en 2009 par Emery Jacquillat, fondateur de Matelsom, un site spécialisé dans la vente de matelas sur Internet. Celui-ci n’a pas froid aux yeux. Surtout, il a une vision : recentrer Camif sur le « made in France ». Très précurseur, non ?
Douze ans plus tard, cette nouvelle stratégie a payé : Camif est aujourd’hui redressée, l’entreprise va retrouver l’équilibre cette année. L’an dernier, sa perte annuelle n’atteignait déjà plus que 800.000 euros, soit trois fois moins que l’année précédente, pour un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros, en hausse de 44% sur un an. Une prouesse, en pleine année du Covid. Mieux, la cohésion interne est retrouvée : la fabrication française de qualité, l’expression d’une mission d’entreprise supérieure à la recherche du profit, ou encore la prise de conscience environnementale en réponse à la quête de sens des consommateurs, ont achevé de souder les collaborateurs de l’entreprise derrière leur dirigeant. Celui-ci, qui a reçu la semaine dernière le BFM Award de la raison d’être, décide à présent de retirer tous les produits non-européens de son catalogue. Gonflé ! De visionnaire, Emery Jacquillat est devenu inspirant !
« Il n’est pas évident de trouver des partenaires financiers alignés avec sa mission »
Mais pour Camif, l’heure du changement d’échelle a sonné. Une nouvelle page est à écrire, à l’heure où la consommation responsable a le vent en poupe et où Camif se fixe pour objectif de détrôner Ikea en 2040 sur le marché de l’aménagement de la maison. Sauf que les fonds actionnaires de Camif, comme Financière des Alpes et Citizen Capital, qui détenaient respectivement 24,6% et 14% en 2019, veulent sortir du capital et encaisser leur plus-value. Même chose pour les actionnaires familiaux présents depuis 2009, qui détenaient un quart du capital. Alors qui, pour reprendre leurs parts ? Plusieurs fonds auraient pu être intéressés, mais « il n’est pas évident de trouver des partenaires financiers alignés avec sa mission », déclare Emery Jacquillat à Mediatico. Et pas question de choisir n’importe qui. Comment ne pas se rappeler des fonds activistes, même minoritaires, qui ont obtenu l’éviction d’Emmanuel Faber de la tête de Danone ?
C’est donc Maif, elle aussi entreprise à mission, qui reprend de Camif à compter de janvier 2022, après la conversion au passage de 6,5 millions d’euros d’obligations. « Nous ne communiquons pas sur le montant de l’opération, mais nous rachetons l’ensemble des actionnaires en dehors du fondateur, soit 82% du capital », indique Pascal Demurger, directeur général du Groupe Maif. Emery Jacquillat reste donc actionnaire des 18% restants : « Maif va entrer dans notre gouvernance, mais nous restons une filiale indépendante et autonome sur son mode de gestion », précise-t-il à Mediatico. Une alliance sur le long terme : « Maif est un partenaire pour les 25 prochaines années avec lequel on se sent bien, nous sommes alignés. Avec Maif, nous avons le bon partenaire ».
Pour le Black Friday, Camif vous fait des B.I.S.O.U.S
À présent, place à une stratégie commune pour développer la consommation responsable : Camif va rapidement bénéficier d’une exposition de ses produits auprès des 3,5 millions de familles sociétaires de Maif. « Nous allons aussi développer de nouveaux modèles, tournés vers l’économie de la fonctionnalité et la seconde vie des produits, vers le consommer-mieux-consommer-moins », poursuit Emery Jacquillat. Le site Camif.fr boycotte d’ailleurs à nouveau le Black Friday cette année, en résistance à une société de sur-consommation : ce vendredi, les seuls articles qu’il vous sera possible d’acheter sur le site de Camif devront répondre à l’acronyme B.I.S.O.U.S : cet objet de vos rêves, en avez-vous Besoin ? Immédiatement ? N’en avez-vous pas déjà un Semblable ? Savez-vous d’Où il vient ? Vous sera-t-il vraiment Utile ? Est-il Socialement responsable ?
Enfin, l’enjeu local est également déterminant : « Avec ce rapprochement, nous voulons doubler de taille d’ici 5 ans, doubler le nombre de fabricants français, augmenter le nombre d’emplois locaux à Niort », poursuit Emery Jacquillat. « Or, si l’on crée 100 emploi à Niort, cela permet de créer 1.400 emplois en France », soit un effet multiplicateur de 14, assure-t-il.
Une raison supérieure : s’épauler entre entreprises à mission
Il nous reste à comprendre la motivation de Maif à s’engager hors de ses terrains de jeu traditionnels, que sont principalement l’assurance habitation et l’assurance automobile. Tenter de convaincre les 500.000 clients de Camif de rejoindre les 3 millions de sociétaires Maif ? « Nous n’avons pas de projet d’offre d’assurance affiniataire » qui serait réservée aux clients de Camif, assure Pascal Demurger. Expérimenter de nouveaux modèles économiques au-delà du secteur de l’assurance ? Assurément, car les perspectives de rentabilité à moyen terme dans l’assurance sont aujourd’hui remises en cause par l’arrivée de la voiture électrique autonome, ou encore par la très coûteuse transition écologique à venir. Pour la première fois, Maif investit donc en dehors de son champ d’activité classique.
« Maif va bien, notre dynamique commerciale est exceptionnelle, justifie Pascal Demurger, mais nous sommes centrés sur une mono-activité, l’assurance-dommages du particulier. Or, la marque Maif rayonne au-delà de son secteur d’origine, il y a peut-être de la place pour une activité à côté de notre activité principale même si ce rapprochement n’est pas une opération transformante : Maif c’est 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 10.000 salariés, Camif c’est 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et 100 salariés ».
Plus que tout, il s’agit donc pour Maif d’investir dans une entreprise qui agit pour le bien commun et de l’aider à se développer. « Camif a fait un chemin remarquable depuis une dizaine d’années pour se transformer et installer un modèle singulier et performant » qui nous engage vers « une consommation plus responsable demain », salue Dominique Mahé, président du groupe Maif. Pascal Demurger renchérit : « Ce rapprochement s’est imposé à nous comme une évidence, nous partageons la conviction que la prise de conscience environnementale et sociétale se fera à long terme ». Et qu’elle sera rentable : « Camif devrait parvenir à financer seul sa croissance », insiste-t-il.
C’est donc une raison supérieure qui a guidé ce rapprochement. « C’est la première fois en France qu’une acquisition est mue par des objectifs de mission », confirme Emery Jacquillat à Mediatico. Une raison supérieure, qui tient en quelques mots : s’épauler entre entreprises à mission. Pour montrer au capitalisme dominant qu’une autre voie est possible. Et que cette autre voie arrive peut-être enfin à maturité.
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